mardi 13 mai 2008

Un réformisme de droite ?

La plupart se souviennent peut-être de la phrase (célèbre) du Prince de Salina dans le roman "Le Guépard" de Giuseppe Tomasi : « Il faut que tout change pour que tout reste comme avant ».

En Turquie comme en France, la situation est, en fin de compte, similaire.
Une droite réformatrice contre une gauche conservatrice. Du moins, est-ce l'impression que nous donne l'affrontement UMP-PS et AKP-CHP.
Dans les deux cas de figures, c'est la "droite" qui décide de donner une impulsion en faveur de réformes visant à adapter le pays à la mondialisation et à la nouvelle donne économique que cette dernière entraîne.
Dans les deux cas de figures, c'est la "gauche" qui reste désespérément amorphe et sans idées.

Ce qui étonne, c'est aussi la proximité des stratégies politico-électorales.

L'UMP et l'AKP se proclament "partis de la réforme" bien plus que "partis de droite", même si on y trouve des références intellectuelles à une politique conservatrice.
Le PS et le CHP se présentent comme "partis de gauche" plus que "partis de la réforme".

Ce changement sémantique est dû à deux éléments :
_ tout d'abord, la notion de "droite" est relativement connotée en France et en Turquie. Elle renvoie (à tort ou à raison) à un conservatisme étroit, voire à une politique réactionnaire.
_ le "réformisme" permet de rallier ceux qui désirent s'inscrire dans une "politique de mouvement" et en finir avec l'immobilisme et le gâchis qui ont caractérisé la Turquie et la France de ces 20 dernières années.

Rive gauche, au contraire, on s'appuie sur la "pûreté idéologique" d'une gauche socialiste (PS) ou (néo)-kémaliste (CHP). Il s'agit de "protéger". A tout prix. Soit les acquis sociaux dont il paraît de plus en plus évident qu'ils ne seront pas viables financièrement à moyen-terme. Soit les acquis idéologiques issus d'un certain romantisme révolutionnaire idéalisé qui servent uniquement de "terrains de jeu" pour se mesurer à la droite et afficher ses différences.

Les droites turques et françaises ont un avantage : un chef, qui apparaît sans doute comme capricieux ou autoritaire, mais qui donne l'impression de tenir de façon responsable le gouvernail de l'état.
Les gauches, elles, offrent un spectacle clanique : lutte de clans, côteries, des leaders représentant une tribu bien plus qu'un parti aspirant à gouverner.

L'échec de la gauche et la victoire de la droite en Turquie comme en France, m'apparaissent ainsi moins dus à une "droitisation" de l'électorat (même si celle-ci existe) qu'à l'impression que les partis de droite, au contraire de ce qui se passait au XIXème siècle, incarnent un "changement ordonné". La personnalisation des fonctions gouvernementales, le sentiment (bien plus que la conviction en fin de compte) que les choses doivent changer, évoluer, ont fait le reste.

Aux yeux de l'électorat, Erdogan (AKP) et Sarkozy (UMP) ont représenté ces espoirs. Ce désir de concilier "changement" et "ordre". Un changement économique. Un ordre "moral" et politique.
Si le changement économique est nécessaire et est sur la bonne voie, la traduction de cette volonté d'ordre apparaît comme confuse, parce qu'elle essaie de mélanger les dérives libertaires (Sarkozy et son goût pour la jouissance et l'argent) ou réactionnaires (Erdogan et ses tentatives pour remettre en question la laïcité) et le désir (au fond légitime) qu'ont les citoyens de revenir à une forme de "tradition" et de "bon ordre".
Cette gestion n'est pas avisée. Parce que justement, elle remet en cause l'aspect qu'ont voulu donner ces deux partis : ceux de partis du "juste milieu", de partis avec un fond idéologique mais toutefois pragmatiques.
Cette crise du réformisme de droite alors même que la droite incarne la seule perspective de réforme, est dramatique parce qu'aucune alternative sérieuse n'est possible. Un échec remettrait en cause, de surcroît, la confiance en la droite pour régler les problèmes du pays.

L'AKP (que je n'aime pas et pour qui je n'ai jamais voté) et l'UMP représentent une sorte de dernière chance pour faire évoluer de façon claire et calme, les systèmes économiques, politiques et sociaux turcs et français. L'impression qu'ils donnent ces derniers temps, est celle d'une confusion entre compromis et compromission, entre fermeté et arrogance.

Le sens du réformisme est justement que l'Etat ne devienne pas le jouet de pulsions tant idéologiques que personnelles.
Le sens de la réforme est de mettre au service de la Nation, des recettes qui marchent.
Le réformisme de droite doit être cette nécessaire conciliation entre l'intérêt général (la Nation) et l'intérêt individuel (les Droits de l'Homme), cette synthèse (et non cette bouillie) entre idéologie et pragmatisme.

Autant dire que si rien n'est perdu, rien n'est gagné mais il reste aux partis de droite à assumer le masque réformiste qu'ils ont enfilé.

J'avais commencé cet article par une référence littéraire. Je le termine en faisant de même : le réformisme de droite quel qu'il soit, est une "porte étroite" pour citer André Gide.
Tout comme la sainteté (le thème du roman de Gide) ? A voir ...

3 commentaires:

Leviathan a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Leviathan a dit…

Relevons quand même que, en France, la gauche a évolué tout au long du XXe siècle mais dans le mauvais sens.

Un radical du début du XXe n'aurait pas renié l'ordre public défendu par Sarkozy ni même le fait de libérer les énergies et favoriser l'entreprenariat.

Mais face à une gauche qui s'est retournée contre le libéralisme qu'elle a inventé, la droite a du évoluer sous les coups de bélier de la toute puissante intelligentsia de gauche.

Comme parfois on le constate dans l'évolution des espèces, de la difficulté, d'un accès de faiblesse, les membres d'une espèce se régénèrent plus vite et se renforcent grandement tandis que les forts, ne subissant pas la même incitation au changement, restent assoupis.

En fin de compte, sur le spectre politique, aujourd'hui, être de droite cela commence un peu plus à gauche. La droite à occupé une position naguère dévolue au centre-gauche qui s'appelle le réformisme tout en délaissant à ses extrémistes l'essentiel de la position réactionnaire.

La droite n'en est ressortie que plus propre... la gauche, plus radicale et l'extrême-droite encore plus anachronique.

Leviathan a dit…

NB: Ce que j'ai écrit plus haut ne vaut essentiellement que pour la France.
La gauche a eu une autre histoire en Allemagne et au R-U.

Par ailleurs, si les IIIe et IVe républiques a vu se succéder de plus nombreux gouvernements et chambres de gauche que de droite, il n'en reste pas moins que la droite s'en est largement mieux tirée dans la seconde moitié du XXe siècle (5 présidents de droite sur 6, 35 ans de majorité parlementaire de droite sur 50).

Le déclin de l'influence de la gauche n'est donc pas une chose nouvelle.