lundi 16 juin 2008

Constitutionnalisme contre démocratisme

La décision de la Cour Constitutionnelle concernant l'amendement légalisant le voile islamique a provoqué, comme on pouvait s'y attendre, une vague de contestations. Par l'AKP. Par les intellectuels libéraux. Par l'UE.
Toutes ces critiques se retrouvent au final pour conclure que le jugement a remis en question la souveraineté de la Nation et que la décision est éminement politique.

La question n'est pas tant de savoir si l'arrêt rendu par les juges constitutionnels est convenablement motivé et si, en effet, l'amendement annulé est oui ou non, conforme au principe de laïcité. La question serait plutôt de comprendre pourquoi un contrôle de constitutionnalité dont les décisions sont bien sûr politiques, est nécessaire dans une démocratie.
L'AKP a été élu par 47% de la population. C'est presque la majorité. Ce n'est pas la majorité.
Mais qu'importe, le système électoral a fait que l'AKP dispose au Parlement, de 65% des sièges. Le pouvoir AKP est légal. Personne ne peut remettre sérieusement cet état de fait en cause.
L'AKP se croit pourtant habilité à prendre les décisions qu'il désire au prétexte qu'il dispose d'une large majorité à la TBMM. Et toute opposition serait au fond, légale mais illégitime.

Pourquoi un contrôle de constitutionnalité ? Pour vérifier que la législateur vote des lois conformes à la Constitution. Pourquoi une Constitution ? Pour organiser l'Etat et les rapports entre les différents pouvoirs (législatif, executif, judiciaire). Une Constitution institue un cadre, capable de limiter les abus que certains gouvernants seraient capables de commettre. Une Constitution est un texte politique car elle fixe le champ d'action et les limites de la politique d'un gouvernement. Le contrôle de constitutionnalité est une décision politique car le juge constitutionnel interprete le texte et rend plus ou moins fléxible, le champ d'action du politique. Ce qui est à faire. Ce qui n'est pas à faire. La ligne rouge en quelque sorte.

Si la démocratie ou plutôt l'élection fonde le pouvoir d'un gouvernement, elle ne l'autorise cependant pas à faire tout et n'importe quoi. Un contrôle de Constitutionnalité est un élément important, un garde-fou contre les dérives d'un gouvernement. Jamais 47% (ou plus) des voix ne légitime la violation de la Constitution. C'est pourtant l'axe d'attaque de l'AKP. Erdogan aurait pu choisir de s'opposer à l'arrêt des juges constitutionnels, en mettant en avant des arguments juridiques. Il a, au contraire, choisi le rapport de force : le Peuple contre les Institutions.
C'est ce qu'on peut appeler le démocratisme. C'est à dire, l'existence d'une "bénédiction" suprême, l'élection, qui justifie toute violation de la Constitution. C'est à peu près, ce que pensent de nombreux politiciens en Occident. Témoin ce ministre démocrate-chrétien néerlandais qui expliquait, toute honte bue, que si la majorité de la population soutenait la sharia, il l'appliquerait sans remors. Alors même que la démocratie chrétienne a contribué à l'émergence de démocraties libérales solides en Europe de l'Ouest (Allemagne, France, Italie, "Bénélux") !
Qu'importe le libéralisme. Qu'importe la démocratie libérale. Qu'importe les Droits de l'Homme. Qu'importe les traditions politiques d'un pays. Le Peuple veut. Le gouvernement donne.
Le démocratisme n'est rien d'autre qu'une conception selon laquelle, l'élection est la seule source de légitimité.
On peut comprendre que le démocratisme s'oppose en fin de compte, au Constitutionnalisme. Puisque le second établit des frontières alors que le premier n'en connaît aucune si ce n'est le peuple.

Bien loin de moi, l'idée de remettre en cause la légitimité de l'élection et la souveraineté nationale. Seulement, si l'élection fonde le pouvoir du gouvernement, elle ne doit pas être conçue comme un chèque en blanc. D'où la nécessité d'une Constitution pour fixer les règles.

Mustafa Kemal Atatürk avait prononcé cette fameuse phrase : "Egemenlik, kayitsiz, sartsiz, milletindir" ("La souveraineté appartient sans restrictions, sans conditions à la Nation").
Certes, mais avec une Constitution cependant...

jeudi 22 mai 2008

Pour un parti de droite, un parti de la droite...

J'avais écrit un article sur le "Réformisme de droite" il y a quelques jours, partageant un certain désarroi à l'encontre d'une droite en France comme en Turquie, qui n'arrivait pas à établir un équilibre (la "fameuse" porte étroite) entre tradition et modernité.

Un des gros problèmes de la droite en France comme en Turquie, a été sa division idéologique.
On connaît bien le propos de René Rémond et sa distinction entre "droite orléaniste", "droite bonapartiste" et "droite légitimiste". L'UMP (dont je ne suis pas membre) avait tenté de remédier à ce problème en faisant cohabiter conservateurs, "droite sociale", libéraux, démocrates-chrétiens. Avec un succès mitigé comme on le voit. Le débat est resté assez limité. Alors même qu'il aurait pu aboutir à un synthèse idéologique des droites.

L'AKP en est un peu au même point. Si ces cadres sont islamistes (ex-membres du Refah Partisi de Erbakan), elle reprend le projet nourri par Turgut Özal et que ce dernier avait explicité dans son ouvrage publié en 1988, "La Turquie en Europe" :

"Le parti qui a remporté les élections de 1983 est celui de la Mère Patrie [ANAP]. Il n'appartient ni à l'un ni à l'autre des principaux courants politiques existant depuis la fin de l'Empire Ottoman."

Il ajoutait :

"Il a admis dans ses rangs, les adhérents des anciens courants afin de former avec leur participation, une nouvelle synthèse."

On remarque ici, le mot souvent utilisé à la fois dans les rangs de la droite française mais aussi dans ceux de la droite "özalienne" : la "synthèse".

L'idée n'avait idéologiquement aucune originalité : dans le cas de l'UMP comme de l'ANAP, il s'agissait de créer une grande force libérale-conservatrice.
La nouveauté était organique. Longtemps la droite turque comme la droite française avaient été condamnées à la division. Seules les circonstances et notamment la préeminence d'un chef incontesté avaient permis l'union (De Gaulle en France, Menderes en Turquie).

L'AKP était dans l'esprit, une reprise de l'esprit özalien : créer un parti conservateur socialement parlant et économiquement, plutôt lsocial libéral et libéral sur le plan politique. Un pont entre le libéralisme de l'ANAP, le conservatisme séculier du DYP et celui, un peu plus traditionnaliste de l'aile "réformiste" du Refah.
L'UMP participait de cette synthèse. La jonction du conservatisme gaulliste, du libéralisme et de la démocratie chrétienne offrait à ce parti une boîte à idées afin de créer une authentique "idéologie des droites".

On eût pu penser à ce moment qu'une telle option (la constitution d'un grand parti de centre-droit) aurait contribué à l'appaisement politique par l'émergence justement d'un pôle.
Or, il est particulièrement intéressant de remarquer que ces deux formations, porteuses d'espoirs, ont été presque "prises en otage" par des courants qui l'ont fait en quelque sorte, dévier de son objectif de synthèse.

Alors même que l'AKP s'était présenté comme un parti du "centre", comprendre un parti de centre-droit classique "à l'européenne", jamais un début de législature n'a été marqué par des mesures aussi idéologiques, et aussi conservatrices. Bref, des mesures qui ont été de nature à accentuer les clivages et à définitivement ancrer l'AKP "bien à droite".

Pour ce qui est de l'UMP, la situation a été un peu la même. Sarkozy a éliminé ce qui restait de l'idée de synthèse en plaçant ses hommes et en imposant un agenda politique qui, sur le plan intellectuel et sociétal, n'a plus grand chose à voir avec les positions de la droite classique.

Justement, le fruit de ces erreurs est que le socle vacille.
Dans les deux cas, le parti s'est transformé en clan.
Si, sur le plan économique, il a respecté son programme de libéralisation et a effectué des réformes plutôt sérieuses et solides, sur le plan sociétal, il a cherché à bouleverser les équilibres alors même que ce n'était pas nécessaire (soit en allant, trop à droite pour l'AKP soit trop à gauche, pour l'UMP).

Ce rêve de créer un parti de toute la droite a été un échec relatif car il a été "réalisé" sans travail idéologique. On s'est couché sur les différentes tendances. Pas de débat. Pas de ligne idéologique claire. On navigue à vue. Ou alors on a clanisé le parti.

Erdogan et Sarkozy avaient les moyens de faire germer ce parti de la droite, ils se sont contentés d'en faire un parti de droite. Parmi d'autres. Dommage.

mardi 13 mai 2008

Un réformisme de droite ?

La plupart se souviennent peut-être de la phrase (célèbre) du Prince de Salina dans le roman "Le Guépard" de Giuseppe Tomasi : « Il faut que tout change pour que tout reste comme avant ».

En Turquie comme en France, la situation est, en fin de compte, similaire.
Une droite réformatrice contre une gauche conservatrice. Du moins, est-ce l'impression que nous donne l'affrontement UMP-PS et AKP-CHP.
Dans les deux cas de figures, c'est la "droite" qui décide de donner une impulsion en faveur de réformes visant à adapter le pays à la mondialisation et à la nouvelle donne économique que cette dernière entraîne.
Dans les deux cas de figures, c'est la "gauche" qui reste désespérément amorphe et sans idées.

Ce qui étonne, c'est aussi la proximité des stratégies politico-électorales.

L'UMP et l'AKP se proclament "partis de la réforme" bien plus que "partis de droite", même si on y trouve des références intellectuelles à une politique conservatrice.
Le PS et le CHP se présentent comme "partis de gauche" plus que "partis de la réforme".

Ce changement sémantique est dû à deux éléments :
_ tout d'abord, la notion de "droite" est relativement connotée en France et en Turquie. Elle renvoie (à tort ou à raison) à un conservatisme étroit, voire à une politique réactionnaire.
_ le "réformisme" permet de rallier ceux qui désirent s'inscrire dans une "politique de mouvement" et en finir avec l'immobilisme et le gâchis qui ont caractérisé la Turquie et la France de ces 20 dernières années.

Rive gauche, au contraire, on s'appuie sur la "pûreté idéologique" d'une gauche socialiste (PS) ou (néo)-kémaliste (CHP). Il s'agit de "protéger". A tout prix. Soit les acquis sociaux dont il paraît de plus en plus évident qu'ils ne seront pas viables financièrement à moyen-terme. Soit les acquis idéologiques issus d'un certain romantisme révolutionnaire idéalisé qui servent uniquement de "terrains de jeu" pour se mesurer à la droite et afficher ses différences.

Les droites turques et françaises ont un avantage : un chef, qui apparaît sans doute comme capricieux ou autoritaire, mais qui donne l'impression de tenir de façon responsable le gouvernail de l'état.
Les gauches, elles, offrent un spectacle clanique : lutte de clans, côteries, des leaders représentant une tribu bien plus qu'un parti aspirant à gouverner.

L'échec de la gauche et la victoire de la droite en Turquie comme en France, m'apparaissent ainsi moins dus à une "droitisation" de l'électorat (même si celle-ci existe) qu'à l'impression que les partis de droite, au contraire de ce qui se passait au XIXème siècle, incarnent un "changement ordonné". La personnalisation des fonctions gouvernementales, le sentiment (bien plus que la conviction en fin de compte) que les choses doivent changer, évoluer, ont fait le reste.

Aux yeux de l'électorat, Erdogan (AKP) et Sarkozy (UMP) ont représenté ces espoirs. Ce désir de concilier "changement" et "ordre". Un changement économique. Un ordre "moral" et politique.
Si le changement économique est nécessaire et est sur la bonne voie, la traduction de cette volonté d'ordre apparaît comme confuse, parce qu'elle essaie de mélanger les dérives libertaires (Sarkozy et son goût pour la jouissance et l'argent) ou réactionnaires (Erdogan et ses tentatives pour remettre en question la laïcité) et le désir (au fond légitime) qu'ont les citoyens de revenir à une forme de "tradition" et de "bon ordre".
Cette gestion n'est pas avisée. Parce que justement, elle remet en cause l'aspect qu'ont voulu donner ces deux partis : ceux de partis du "juste milieu", de partis avec un fond idéologique mais toutefois pragmatiques.
Cette crise du réformisme de droite alors même que la droite incarne la seule perspective de réforme, est dramatique parce qu'aucune alternative sérieuse n'est possible. Un échec remettrait en cause, de surcroît, la confiance en la droite pour régler les problèmes du pays.

L'AKP (que je n'aime pas et pour qui je n'ai jamais voté) et l'UMP représentent une sorte de dernière chance pour faire évoluer de façon claire et calme, les systèmes économiques, politiques et sociaux turcs et français. L'impression qu'ils donnent ces derniers temps, est celle d'une confusion entre compromis et compromission, entre fermeté et arrogance.

Le sens du réformisme est justement que l'Etat ne devienne pas le jouet de pulsions tant idéologiques que personnelles.
Le sens de la réforme est de mettre au service de la Nation, des recettes qui marchent.
Le réformisme de droite doit être cette nécessaire conciliation entre l'intérêt général (la Nation) et l'intérêt individuel (les Droits de l'Homme), cette synthèse (et non cette bouillie) entre idéologie et pragmatisme.

Autant dire que si rien n'est perdu, rien n'est gagné mais il reste aux partis de droite à assumer le masque réformiste qu'ils ont enfilé.

J'avais commencé cet article par une référence littéraire. Je le termine en faisant de même : le réformisme de droite quel qu'il soit, est une "porte étroite" pour citer André Gide.
Tout comme la sainteté (le thème du roman de Gide) ? A voir ...

lundi 5 mai 2008

Pas de retraite possible

Le débat qui agite la sphère politicienne et syndicale est en ce moment, celui des retraites.
Beaucoup plus que l’assurance-maladie (dont la baisse du déficit encourageante mais non déterminante due aux premiers effets de la réforme de 2004 est demeurée inaperçue ou presque), le système de retraite incarne l’état-providence « à la française ».
Philosophiquement, parce qu’il représente un mécanisme de solidarité (intergénérationnel dans ce cas).
Financièrement, parce que le système est menacé d’implosion.

La réforme proposée relève du bon sens : il sera nécessaire de travailler plus, ne serait-ce que pour sauvegarder à court terme, l’existence même de pensions tout comme il est nécessaire d’encourager le travail des « seniors » dont la faible activité a fait l’objet jusque là d’un consensus entre les organisations patronales et syndicales ainsi que de l’état, le tout (il faut bien le dire) sur le dos du contribuable.

L’assurance-vieillesse fait partie de ces mythes qui ont fondé la Sécurité sociale française.
Et comme tous les mythes, elle a été l’instrument du populisme le plus certain. Et comme dans beaucoup de cas, ce qui satisfait, n’est pas forcément ce qui est nécessaire.
Ainsi de la Retraite à 60 ans mise en place par les Socialistes dans les années 1980 alors même que l’on connaissait plus ou moins les difficultés qui allaient s’accumuler dans les décennies à venir en matière de financement du régime général. A l’hystérie socialiste (la formule du « demain, on rase gratis » … sur le dos des « riches ») la droite répondait par quelques timides pas en avant (nécessaires mais non suffisants) : l’augmentation de la durée de cotisation ayant été la piste privilégiée.

L’évolution de l’assurance-vieillesse est aussi une parfaite illustration de l’évolution de la France au cours de ces 25 dernières années : à l’encontre du bon sens et des politiques de ses voisins. Pendant que la Grande-Bretagne dérégulait (certes de façon brutale), la France nationalisait, tandis que les pays scandinaves ou le Canada résorbaient leur dette nationale et diminuait leur dépense publique, la France les voyait croître à vu d’œil, pendant que l’Allemagne renonçait aux 35h, la France les instituait.
Même en matière de gestion du problème des retraites, il y a urgence : la GrandeBretagne et l’Allemagne ont décidé d’augmenter l’âge de départ à la retraite et les pays scandinaves et les Pays-Bas ont favorisé l’emploi des travailleurs âgés (les « seniors »).

La réforme planifiée sera certainement insuffisante. Ne serait-ce que parce que faire varier la durée de cotisation n’est pas suffisant et que c’est bien le problème de la « Retraite à 60 ans » qui aujourd’hui se pose, même si celle-ci du fait même de la nécessité d’accomplir au moins 40 ans d’annuités (et 41 ans à partir de 2012) reste assez hypothétique.
Faire augmenter l’âge de départ à la retraite apparaîtra à terme comme symbolique même si politiquement risqué. Symbolique car une telle augmentation ferait plus facilement prendre conscience aux Français qu’il faut travailler plus longtemps dans leur intérêt même et celui de leurs enfants. Politiquement risqué car la « Retraite à 60 » ans apparaît à beaucoup de Français comme un « droit acquis » (comprendre « il ne faut pas y toucher »).
Le Conseil d’Orientation des Retraites commence d’ailleurs à s’y pencher et à souligner l’effet bénéfique d’une telle réforme sur les finances de la branche « Assurance-vieillesse » de la Sécurité sociale.

Il s’agit par ailleurs, du premier test « grandeur nature » du gouvernement.
La demi-réforme des régimes spéciaux avait été une formalité car soutenue par les Français. La CGT ne s’y était pas trompée, se contentant d’une grève d’un jour, un « baroud d’honneur » pourrait-on dire.
Ici, hormis la CFDT qui reste confuse dans ses revendications, tous les syndicats s’affichent comme opposés à la réforme même si ils demeurent divisés sur leurs propositions.
Le gouvernement a bien compris sa chance : maniant le bâton (passage à 41 ans d’annuités dès 2012 non négociable) et la carotte (pistes en faveur de l’emploi des seniors), il cherche à désarmer le front syndical qui tente (avec peine) de se former et qui, déjà, annonce une journée d’action le 22 mai prochain.

Le gouvernement a aussi compris que ce test d’avère déterminant pour la suite de sa politique vis-à-vis non seulement de l’Opposition tant syndicale que parlementaire, que des Français (et notamment de ses électeurs).
S’il recule sur ce thème, il ne sera plus crédible pour mener d’autres réformes. C’est au-delà du problème des retraites, tout l’enjeu de la manœuvre.

En clair, et Nicolas Sarkozy l’a bien laissé entendre lors de son interview télévisée : sur le thème de l’assurance vieillesse, il n’y a pas de retraite possible.

jeudi 24 avril 2008

Jouer son peuple contre leurs élites...

L'AKP a su faire fructifier ses 34,29% du 3 novembre 2002, pour atteindre le score de 41,67% aux élections locales de 2004 puis les 46,6% au cours des élections générales du 22 juillet 2007. Dans un récent sondage, l'AKP est crédité de 53,3%. Bref, une réelle popularité. Attention à ce que cet atout ne devienne pas un un chèque en blanc


En Turquie, les évènements cependant, s'accélèrent.
Le tribunal constitutionnel a ouvert une procédure d'interdiction contre l'AKP pour "menées anti-laïques". Cette "offensive judiciaire" a toutes les chances d'aboutir à la dissolution du parti de Recep T. Erdogan.
Les interprétations de cet épisode sont multiples : désir de la part de l'establishment d'en finir avec un parti au final, bien trop populaire, résultat d'une lutte de pouvoir engagé par une "élite kémaliste" qui craint pour ses privilèges et son statut, ...
Toujours est-il que les tentatives de l'AKP pour changer la constitution se sont heurtés à des obstacles difficilement surmontables aux yeux des dirigeants du parti.

Face à cette crise politique, l'AKP pourrait dissoudre à nouveau le Parlement pour convoquer (une nouvelle fois) les électeurs en juin prochain.
L'AKP emploie une méthode rodée dans les démocraties occidentales et que d'aucuns qualifieront de "bonapartiste" : utiliser le peuple comme arbitre de la crise politique.
Rien de nouveau sous le soleil. La technique de l'élection-plébiscite est un instrument classique du politique.

Là où cette situation témoigne d'une crise profonde, c'est que la méthode est désormais usitée chaque année puisque chaque année, le pouvoir AKP se voit contesté voire même, comme aujourd'hui, remis en cause, par le fameux "establishment" (soit l'armée, soit les juges).
Seulement les circonstances ont changé : en juillet 2007, il s'agissait de faire une démonstration de force pour "imposer" Gül, bref établir un rapport de force. En 2008, il s'agira d'imposer un rapport de force à usage politique, mais aussi et surtout "comptable" c'est-à-dire avoir assez de députés pour pouvoir changer les règles du jeu en plein match, c'est-à-dire la Constitution.
Une autre solution serait d'organiser un référendum constitutionnel.

Dans les deux cas, l'AKP investit son capital de popularité dans des opérations plébiscitaires et finalement, publicitaires (puisqu'il défendra son bilan).
La dissolution si elle a ses avantages, pourrait toutefois, se retourner contre l'AKP et sa crédibilité. L'AKP n'a eu de cesse depuis juillet 2007 de combattre la "polarisation" que cultiverait ses adversaires néo-kémalistes. Or, dans une situation comme celle de la Turquie, marquée par la permanence de troubles politiques, le recours fréquent à la dissolution fragilise l'existence d'un consensus autour du régime. Si l'AKP n'est pas l'unique responsable de la "polarisation" du pays, elle l'a pourtant favorisée (libéralisation du voile islamique à l'université, tentative pour pénaliser l'adultère, ...).
L'AKP a commis des erreurs de "communication", pourrait-on dire avec euphémisme : les déclarations d'Erdogan sur le fameux "troisième enfant" associée à la mention de Dieu, la libéralisation du voile à l'université, etc n'ont rien fait pour apaiser une vie politique assez troublée...
En bref, l'AKP, depuis quelques mois, donne cette impression de ne pas "calmer le jeu" et quand survient une opposition (prévisible au vu de certaines mesures), crie au déni de démocratie.

Deuxième problème : l'AKP donne l'impression d'agir dans la confusion à l'heure où le bilan de cette législature demeure assez maigres et hormis la nécessaire réforme de la Sécurité Sociale, marquée uniquement par des mesures idéologiques, par nature peu consensuelles...

Le face à face entre l'establishment néo-kémaliste et le gouvernement islamiste débuté il y a près d'un an avec l'affaire du "e-memorandum" de l'armée se poursuit. Avec à chaque fois, une graduation dans la menace.
Face à l'adversité cependant, Erdogan a décidé de conserver une méthode, ô combien classique mais au fond risquée dans un pays déjà suffisamment divisé : jouer le peuple contre les élites.
Ou plutôt, jouer son peuple contre leurs élites...

mardi 22 avril 2008

Un an de Sarkozy : quel bilan économique ?

Un an après la victoire de Nicolas Sarkozy, le bilan de la première année de mandat de ce dernier, est mitigé. Les succès obtenus sur le plan socio-économique ne peuvent faire oublier certaines erreurs stratégiques majeures.

Nicolas Sarkozy est un homme à plusieurs facettes. On l'avait déjà remarqué, on le constate encore. Et comme tout individu de cette espèce, il déchaîne les passions les plus diverses.
Si Pierre Moscovici, "secrétariable" socialiste, affirme que "Nicolas Sarkozy avait de l'or entre les mains et qu'il en a fait du plomb", Yves de Kedrel, chroniqueur au Figaro et accessoirement, rédacteur du Journal des Finances, salue dans un très bon article à la fois clair et dense "L'An I de la silencieuse Révolution sociale" dans l'édition du Figaro d'aujourd'hui.

J'aurais tendance à partager l'avis de Yves de Kedrel pour ce qui est des réformes économiques.
Si à mes yeux, le paquet fiscal voté en juillet dernier contenait certaines dispositions intéressantes comme par exemple, l'exonération des heures supplémentaires (en effet, pourquoi taxer le revenu du travail supplémentaire réalisé par celui qui est déjà mis à contribution par son patron ?) ou le bouclier fiscal (à mes yeux, une mesure certes symbolique, mais nécessaire de par sa dimension symbolique), j'ai encore du mal à comprendre l'urgence autant politique qu'économique, qu'il y avait à abolir de facto les droits de succession...

Pourtant, bien qu'agité par une opposition en mal d'idées (elle eût aussi utilisé les 15 mrds pour les engloutir dans des choix essentiellement politiques et peu profitables économiquement, tels que l'augmentation de la prime de rentrée scolaire même si les socialistes ont eu beau jeau d'ajouter qu'ils eûrent consacré une partie de cette vraie fausse "cagnotte" au désendettement de la France), le paquet fiscal (alias "cadeau-fait-aux-riches") ne saurait à mes yeux, résumer toute la politique économique du gouvernement au cours de l'"année" passée.

Nicolas Sarkozy a eu l'intelligence politique, sans doute à l'instigation de son conseiller Raymond Soubie, de jouer le jeu de la négociation sociale. Et pas pour la forme uniquement. Pas uniquement parce qu'il y était contraint par une loi en date du janvier 2007.
Ce choix s'est révélé payant politiquement. Les syndicats et le patronnat ont été responsabilisés. Déjà affaiblis par divers évènements (UIMM, faible taux de syndiqués), la négociation les a contraints à agir en cessant de se retrancher derrière le gouvernement. De plus, l'opposition parlementaire se trouve désarmée : comment désavouer le produit de la négociation sociale ?
La manoeuvre s'est révélée être aussi un succès "technique". Les compromis, loin d'être complètement bancaux, ont offert une cohérence et des garanties à tous.
Si parler de "flexisecurité" est sans doute, un peu pompeux, il semble que l'accord obtenu sur le marché du travail offre assez de garanties à l'employé tout en répondant à certaines exigences du patronnat.
Quoiqu'il en soit, le projet de loi est déjà sur les tablettes du Parlement et entrera vraisemblablement en vigueur à la fin du Printemps 2008. En souhaitant que le mariage entre sens politique et succès technique aboutisse à l'efficacité économique.

Par ailleurs, le projet de loi sur la modernisation de l'économie, semble dans ses grandes lignes, répondre aux exigences de simplification des procédures. Au menu, moins de bureaucratie (un statut simplifié de l'entrepreneur individuel, l'instauration d'un taux forfaitaire correspondant aux cotisations et aux impôts payés par l'entrepreneur, diminution des effets de seuil), une simplification des règles juridiques notamment pour les SARL et une diminution des délais de paiement pour les PME. Le reste portant sur la concurrence dans la grande distribution.

Reste à savoir si dans un contexte économique morose (risque de récession aux Etats-Unis, ralentissement de la croissance économique mondiale), la France sortira la tête de l'eau aussi rapidement que prévu. Les premières estimations, si elles font état d'une prévisible baisse de la croissance en 2008, ne semblent pas remettre en cause, certaines évolutions positives telles que la baisse du chômage ou la création d'entreprises (même si celle-ci accuse une légère baisse si on la compare aux chiffres mensuels de l'année précédente).

Au fond, les problèmes économiques que connaît la France (inflation, baisse du pouvoir d'achat des ménages, ralentissement de la croissance) ne sont pas tant les résultats de la politique gouvernementale que les fruits de la conjoncture mondiale, marquée actuellement par l'augmentation des matières premières et la récession américaine.

Cependant, si la politique économique peut être saluée, il n'en va pas autant de la politique budgétaire. Un déficit qui s'aggrave, à l'heure où nos voisins soit par rigueur budgétaire (Allemagne), soit par une gestion économique avisée (Espagne) ont su maîtriser les leurs.
Malgré les appels du Nouveau Centre, le gouvernement Fillon ne semble pas décidé à activer le pas et ce, en dépit de la RGPP dont les résultats en terme d'impact budgétaire, sont pour le moment, assez minces (entre 5 et 7 mrds d'euros jusqu'en 2011) alors que de l'aveu même d'Eric Woerth, Ministre des Comptes, il faudrait économiser au moins 10 milliards d'euros par an pour "espérer" être en équilibre budgétaire en 2012.
A cela, il faut ajouter la rationalisation de certaines dépenses : si l'épisode de la carte judiciaire ne fut guère glorieux, celui de la carte hospitalière a été salué par les professionnels de santé. Et devrait permettre certaines économies, à priori, sans dégrader les conditions d'accueil des patients.

Quelles perspectives ? _ Le gouvernement préparerait un "big bang de la protection sociale". Expression un peu fourre-tout, certes. Cependant, si l'on sait que le budget de la Sécurité sociale dépasse celui de l'Etat, on ne peut que saluer une telle initiative économiquement nécessaire mais politiquement à risque. Bref, le funambulisme est de retour.
_ La RGPP n'est pas bouclée. Espérons que le gouvernement cessera de s'attaquer aux budgets des familles (voir l'épisode concernant la carte familles nombreuses ou encore la double majoration des allocations familiales) ou à celui de l'armée (suppressions de postes au moment où les tensions internationales s'éxacerbent). Pourtant, il est remarquable que la question du déficit ne soit plus abordée sous l'angle des recettes mais sous celui des dépenses. En clair, il est devenu évident que le problème du déficit français, est un problème de dépenses publiques. Cette prise de conscience est salutaire.

Tout cela m'incite à croire que la politique économique du tandem Sarkozy-Fillon, même si elle souffre de certaines carences (par exemple, les cafouillages sur la RGPP ou le laxisme budgétaire), va plutôt dans le bon sens.
Reste à confirmer en 2008-2009.

Pourquoi un blog ?

Pourquoi un blog ?

Je pense que certains me "suivent" (non, je ne suis pas parano) depuis longtemps et bien sûr, savent que j'ai un avis sur tout.
Bref, j'ai décidé moi aussi, de m'exprimer sur un blog. Non pas pour raconter ma vie. Ou plutôt, si, mais alors, détailler ma vie intellectuelle. Ce que je pense, ce que je crois. Ce que je veux, ce que j'espère. Et ce, à propos de plusieurs thèmes (l'économie, la société, etc) et de plusieurs pays (France, Turquie, Allemagne principalement).
Vous l'aurez compris, je ne suis pas doué pour les présentations. Place à l(a réd)action.


Amitiés,

Fatih