jeudi 22 mai 2008

Pour un parti de droite, un parti de la droite...

J'avais écrit un article sur le "Réformisme de droite" il y a quelques jours, partageant un certain désarroi à l'encontre d'une droite en France comme en Turquie, qui n'arrivait pas à établir un équilibre (la "fameuse" porte étroite) entre tradition et modernité.

Un des gros problèmes de la droite en France comme en Turquie, a été sa division idéologique.
On connaît bien le propos de René Rémond et sa distinction entre "droite orléaniste", "droite bonapartiste" et "droite légitimiste". L'UMP (dont je ne suis pas membre) avait tenté de remédier à ce problème en faisant cohabiter conservateurs, "droite sociale", libéraux, démocrates-chrétiens. Avec un succès mitigé comme on le voit. Le débat est resté assez limité. Alors même qu'il aurait pu aboutir à un synthèse idéologique des droites.

L'AKP en est un peu au même point. Si ces cadres sont islamistes (ex-membres du Refah Partisi de Erbakan), elle reprend le projet nourri par Turgut Özal et que ce dernier avait explicité dans son ouvrage publié en 1988, "La Turquie en Europe" :

"Le parti qui a remporté les élections de 1983 est celui de la Mère Patrie [ANAP]. Il n'appartient ni à l'un ni à l'autre des principaux courants politiques existant depuis la fin de l'Empire Ottoman."

Il ajoutait :

"Il a admis dans ses rangs, les adhérents des anciens courants afin de former avec leur participation, une nouvelle synthèse."

On remarque ici, le mot souvent utilisé à la fois dans les rangs de la droite française mais aussi dans ceux de la droite "özalienne" : la "synthèse".

L'idée n'avait idéologiquement aucune originalité : dans le cas de l'UMP comme de l'ANAP, il s'agissait de créer une grande force libérale-conservatrice.
La nouveauté était organique. Longtemps la droite turque comme la droite française avaient été condamnées à la division. Seules les circonstances et notamment la préeminence d'un chef incontesté avaient permis l'union (De Gaulle en France, Menderes en Turquie).

L'AKP était dans l'esprit, une reprise de l'esprit özalien : créer un parti conservateur socialement parlant et économiquement, plutôt lsocial libéral et libéral sur le plan politique. Un pont entre le libéralisme de l'ANAP, le conservatisme séculier du DYP et celui, un peu plus traditionnaliste de l'aile "réformiste" du Refah.
L'UMP participait de cette synthèse. La jonction du conservatisme gaulliste, du libéralisme et de la démocratie chrétienne offrait à ce parti une boîte à idées afin de créer une authentique "idéologie des droites".

On eût pu penser à ce moment qu'une telle option (la constitution d'un grand parti de centre-droit) aurait contribué à l'appaisement politique par l'émergence justement d'un pôle.
Or, il est particulièrement intéressant de remarquer que ces deux formations, porteuses d'espoirs, ont été presque "prises en otage" par des courants qui l'ont fait en quelque sorte, dévier de son objectif de synthèse.

Alors même que l'AKP s'était présenté comme un parti du "centre", comprendre un parti de centre-droit classique "à l'européenne", jamais un début de législature n'a été marqué par des mesures aussi idéologiques, et aussi conservatrices. Bref, des mesures qui ont été de nature à accentuer les clivages et à définitivement ancrer l'AKP "bien à droite".

Pour ce qui est de l'UMP, la situation a été un peu la même. Sarkozy a éliminé ce qui restait de l'idée de synthèse en plaçant ses hommes et en imposant un agenda politique qui, sur le plan intellectuel et sociétal, n'a plus grand chose à voir avec les positions de la droite classique.

Justement, le fruit de ces erreurs est que le socle vacille.
Dans les deux cas, le parti s'est transformé en clan.
Si, sur le plan économique, il a respecté son programme de libéralisation et a effectué des réformes plutôt sérieuses et solides, sur le plan sociétal, il a cherché à bouleverser les équilibres alors même que ce n'était pas nécessaire (soit en allant, trop à droite pour l'AKP soit trop à gauche, pour l'UMP).

Ce rêve de créer un parti de toute la droite a été un échec relatif car il a été "réalisé" sans travail idéologique. On s'est couché sur les différentes tendances. Pas de débat. Pas de ligne idéologique claire. On navigue à vue. Ou alors on a clanisé le parti.

Erdogan et Sarkozy avaient les moyens de faire germer ce parti de la droite, ils se sont contentés d'en faire un parti de droite. Parmi d'autres. Dommage.

8 commentaires:

Sami a dit…

Comme un sujet de dissertation...

Sami a dit…

Salut Fatih,
Je trouve l'analyse fine; mais est-il vraiment possible de faire une synthèse de ces "tendances" ? Et doit-on faire une synthèse ? Pourquoi créer absolument le parti de la droite si la droite est plurielle ? Ce travail de synthèse ne me semble pas nécessairement une bonne chose. A mon humble avis (je ne suis pas un grand politiste), il faut éclater cette distinction droite/gauche. Vous, vous essayez de la revigorer. Je reste sceptique. L'essentiel n'est pas d'avoir une façade d'unité mais de s'enorgueillir d'avoir créer des ponts entre des familles "presque" proches; bref, de sortir de l'idéologie.

Fatih Erdogan a dit…

Bonsoir Sami,

Je pense que la constitution de deux grandes formations, une à droite, une à gauche, aurait ce mérite de rendre plus claire la vie partisane et peut-être de la modérer.

Je n'aime pas Tayyip, mais force est de constater qu'il n'est plus cet homme des années 1990 qui s'interrogeait à voix haute sur la question de savoir si la démocratie serait une fin, ou alors un moyen.

Trop longtemps, les partis de droite turcs se sont contentés d'une sorte de répartition des tâches : le MSP/Refah tentait de rassembler les islamistes et conservateurs extrêmistes, le AP/DYP, les conservateurs modérés, partisans d'une libéralisation économique. L'ANAP a tenté la réunion de ces traditions, ce qui aurait permis l'émergence d'un grand parti de droite susceptible d'éviter l'extrêmisme mais tout aussi capable d'affirmer et d'afficher des valeurs.

Par ailleurs, un tel parti eût évité les coalitions minables des années 1970 (Milli Cephe) et celles des années 1990.
Surtout que la proportionnelle accentue la "clientèlisation" de l'électorat. Chacun amène ses ingrédients et on fait une coalition, sorte de soupe, de tambouille commune pour accoucher d'un gouvernement qui très souvent, gouverne à vue! Sans compter que ce genre de choses facilite le chantage des partis surtout extrêmistes et l'instabilité gouvernementale.

Pour la droite française, je crois que c'est la même chose. Auparavant, l'UDF regroupait Radicaux, Libéraux et Démocrates-chrétiens et le RPR, les conservateurs et les gaullistes.
Bien. Mais sur le fond, il y a peu de divergences entre ces différents camps. Les Libéraux sont juste un peu plus libéraux que les autres. Les démocrates-chrétiens, un peu plus sociaux. Mais cela justifie-t-il une inflation de partis ? Je ne le pense pas. :)

J'espère avoir éclarci mon point de vue.
Pour ce qui est de la distinction droite/gauche, je pense qu'elle est toujours d'actualité, ne serait-ce que sur les questions de moeurs ou alors les questions économiques même dans ce domaine-là, les différences sont de plus en plus ténues.

Amicalement,

Fatih

Fatih Erdogan a dit…

A propos de l'ANAP : ce parti avait e plus le mérite d'européaniser le débat idéologique.
Conservateur socialement mais tout en évitant les délires erbakaniens (instauration de la sharia, confessionalisation de la vie politique et sociale, etc), tout en reprenant les apports du kémalisme (état unitaire, laïcité).
Libéralisme politique en tentant de faciliter la renaissance de la société civile meutrie par la "guerre civile" des années 1970 et écrasée par le coup d'état de 1980.
Libéralisme économique ensuite, en favorisant le rapprochement avec l'UE et l'ouverture de la Turquie à la mondialisation. Bref en finir avec l'étatisme forcené qui regnait précédemment.

Amitiés,

Fatih

Sami a dit…

L'ANAP avait réussi à rassembler différentes tendances certes mais c'est le mérite exclusif de Turgut Özal. A peine parti, le mouvement a commencé à se craqueler.
En France, cette pluralité ne pose pas de problème dans la mesure où les députés sont plus libres que leurs confrères turcs. Si on étouffe les différentes tendances dans le seul dessein esthétique d'avoir deux grands partis, ça pourrait poser un grave problème démocratique en Turquie. La cohésion interne l'emporterait sur les convictions idéologiques de chaque famille. Et ça serait un grand tort fait à la "démocratie" turque.
En France, les députés appartiennent à des sous-groupes au sein des partis mais ils arrivent à faire entendre leurs voix sans avoir à craindre la perte de leur mandat aux prochaines élections. Le fait du leader n'est pas aussi étouffant qu'en Turquie. Donc, ça revient à avoir de facto plusieurs partis mais regroupés au sein d'une seule structure.
On a entendu le mot "libéralisme" dans la bouche de Delanoë et vu tout le tintamarre. Alors que tout le monde sait que le libéralisme politique ou sociétal est élément du socialisme. Comment dans ce cas de figure faire perdurer la radicalité droite/gauche ? Je continue à penser que ça n'a plus grand sens.

Fatih Erdogan a dit…

Sami,

Bonsoir avant tout. :)

Je pense que vous avez raison. La gauche est libérale politiquement car elle défend la démocratie libérale.

Cependant elle est aussi libérale "sociétalement" et défend le mariage gay, parfois l'euthanasie, etc.
Et ce contrairement à la droite. Du moins la droite traditionnelle.

Amitiés,

Fatih

Sami a dit…

C'est vrai mais de toute manière l'évolution fait que les questions de société se résolvent non plus dans les enceintes politiques mais "par la force des choses". L'euthanasie, le mariage gay, etc. vont aboutir; c'est inéluctable. Même en Turquie.
Bon courage.

Leviathan a dit…

Il y a des choses qui évolueront par "la force des choses" et d'autres qui seront discréditées par cette même force des choses.

Je ne suis pas convaincu que le libéralisme, s'il accepte vraisemblablement le mariage des homosexuels et l'euthanasie, aille dans le sens d'une "ouverture" au voile, aux sectes, à l'hédonisme, à des valeurs autres donc équivalentes, à la remise en cause des fondements des Lumières.

Le libéralisme n'est pas le permissivisme ni même un relativisme et il pourrait sécréter un jour ses anticorps.

Raison pour laquelle, si je suis un libéral, je crois encore en la division droite - gauche rien que parce que je n'aime pas l'un de ces deux camps et que j'en connais parfaitement les raisons.

De nos jours, on nous vante l'ouverture, la tolérance, et la dilution du sentiment national dans une immonde bouillie relativiste et cosmopolitique.

Hélas, le cosmopolitisme a cessé d'être le croisement du meilleur de chaque culture pour devenir une sorte d'ersatz abominable mélant ensemble les plus bas instincts présents en chaque peuple.

Désormais ce qu'il y a de pire chez les autres s'emmmèle ce qu'il y a de pire en nous et nul ne se sent plus tenu de surpasser ses aînés.

Dans ce monde, la différence, la compétition, crée l'émulation et le dépassement de soi. La passivité de ceux qui veulent tout remettre à plat et tout accepter ne fait que nous précipter vers un nouvel âge des ténèbres.